L'ANAGYRE
FÉTIDE OU « BOIS PUANT »
(FABACÉES) : UN
ARBUSTE MYSTÉRIEUX (Version 2024)
par André Lopez, auteur |
et sont présentées plus bas.
Couleurs
conventionnelles :
En noir et italiques, termes anatomiques ; en violet,,
noms
génériques et spécifiques ; en vert, noms de
familles ; en orange,, parties
les plus importantes
et résumés.
|
I
- Introduction
La
colline d’Ensérune, située sur la commune de Nissan, est
bien connue pour son
grand intérêt historico-archéologique. Ce que l’on
sait moins, c’est qu’elle
abrite une flore abondante et diversifiée que dominent deux
plantes rares, appartenant
à la grande famille des Fabacées
(ex Légumineuses) 1 de valeur patrimoniale et dites
«déterminantes» 2 ,
au point de les
avoir rattachées à la ZNIEFF 3 n°
0000 -3060 : l’
Astragale de Narbonne, Astragalus
alopecuroides L.
et
l’
Anagyre fétide, Anagyris foetida L.
Entrant
dans le cadre d’une distribution circum-méditerranéenne
pourtant étendue, elles
se singularisent par leur localisation restreinte et, en ce qui
concerne
l’Anagyre, ayant donné lieu ici comme ailleurs à des
hypothèses inattendues sur
son origine, l’une d’elles rejoignant le domaine de l’ Histoire.
Avant
d’aborder le cas d’ Anagyris
foetida, sujet essentiel
de la note, étudié à Ensérune
et, comparativement, au Roc du Cayla (Roquessels), donc encore en
Biterrois, rappelons
brièvement pour mémoire et du fait de sa beauté qu’
Astragalus alopecuroides 4 est
aussi une
plante méditerranéenne, propre
au sud-ouest de l'Europe (France,
Espagne)
et au
nord-ouest de l'Afrique (Maroc,
Algérie).
Dans le Biterrois, il en existe deux
populations : l’une à Ensérune (Fig.1)
et l’autre,
comme Ephedra (Lopez,2019),
sur les collines de Nissan.
Fig. 1 - Astragale de
Narbonne, garrigue d'
Ensérune |
http://faune-flore-languedocienne.alwaysdata.net/garrigue/Plantes_rares.html#Astragalus_alopecuroides |
II -
L’Anagyre fétide : présentation
botanique et biologique
Elle est curieuse et peut préter à
confusion. Officialisé en 1753 par Carl von Linné, le nom
générique Anagyris dérive du latin anagyros
et du grec anaguris
(Ἀνάγυρις
ou ἀνάγυρος),
soit
gyrus avec le
préfixe ana, ce qui signifie
littéralement
«toupie
qui se retourne» mais désigne, en
fait,
pour le public, un objet de tout autre
nature 5. Le savant
naturaliste suédois,
fondateur de la nomenclature binominale a du
retenir les termes antiques désignant la plante bien que pour
certains, un
tel nom ait
plutôt fait
allusion, dans
son esprit,
soit
à un effet désagréable sur l’organisme humain et
(ou) animal, au sens d’une «
plante qui retourne l'estomac», soit à la forme parfois incurvée
du fruit, ce qui est improbable.
En tant
que Fabacée 1 et Faboidée, l’
Anagyre
appartient à la tribu des Thermopsideae et apparait ainsi comme
«exotique»,
selon le qualificatif de
Martins (1869). En effet, ce groupe
taxonomique particulier est considéré comme originaire d’
Asie centrale et du
plateau de
Qinghai-Xizang
(Ming-Li & al., 2015)
et en aurait divergé dans le reste de l’ Asie, sur tout le
pourtour
méditerranéen et jusqu’en Amérique du Nord. Outre Anagyris, il ne compte que 5 autres genres : Thermopsis, est-asiatique,
se rapprochant le
plus du précédent, Baptisia et
Pickeringia
(USA),
Piptanthus
(Asie tropicale) et Ammopiptanthus
(déserts d’Asie centrale). Il n’existe dans le Monde
qu’une seule autre espèce du genre concerné : l’Anagyre à feuilles larges, Anagyris
latifolia Brouss.ex.Wild, connu
seulement des Canaries occidentales, dont Gran Canaria et Ténérife,
île remarquable pour ses innombrables
plantes endémiques.
Fig.2 - Anagyris
latifolia Brouss.ex.Wild, fleurs et feuilles d'après http://www.floradecanarias.com/anagyris_latifolia.html |
3
- Aire géographique
Elle
couvre quasiment tout le bassin
méditerranéen avec l’Asie
occidentale, le Moyen Orient (dont l’ Arabie, le Yemen) et l’ Europe
méditerranéenne, de la Grèce à l’ Espagne,
totalité des îles comprise
dont la Corse. En ce qui nous concerne, la distribution inclue presque tout le sud de la France, sur coteaux arides et
dans les garrigues, depuis les
Alpes-Maritimes jusqu’aux Pyrénées orientales, s’y
limitant toutefois partout à des localités très
clairsemées, en «ilôts».
L’ Anagyre est installé au pied du versant sud de la colline d’ Ensérune, en contrebas du Musée, dans un repli grossièrement triangulaire des terrains molassiques et marneux locaux du Miocène 7 , se présentant en amont comme un ravin anfractueux que prolonge un profond fossé, et en aval, s’étalant en surface subhorizontale qu’occupe une pelouse à Brachypodes 8 . Les autres arbustes notables sont le Nerprun alaterne et la Filaire à feuilles étroites ainsi que quelques Lauriers (fig.2,3).
Fig.2 - Pelouse à Brachypode vue du
Sud. E, plateau d'Ensérune - R, ravin et fossé - T, talus
oriental (Scan) |
Fig.3 - Vue plongeante de l'est. A, Anagyre
sur talus oriental - C, Canal du Midi - F, fossé -G, garrigue -
O, oliveraie. (Scan) |
La
population se réduit en tout et pour tout à
une dizaine pieds 9,
l’un solitaire sur un grand talus oriental (fig.3), et
est distante d’environ 500 m de celle d’Astragalus,
située aussi à flanc de
colline, également en garrigue appauvrie mais, plus vers
l’ouest, au delà d’oliveraies
interposées, donc indépendante et
dans un autre biotope. Signalons, d’une part, que l’ Anagyre a
échappé de peu à
un incendie ayant ravagé le sud de la colline en Juin 2021,
d’autre part, que
le ravin et le talus oriental renferment des blocs de construction
épars ou
ébauchant des murs, peut être d’origine romaine, les
vestiges connus de cette
période étant précisément localisés
sur le versant sud d’ Ensérune (Ugolini
& Olive, 1963).
5 - Description botanique
Fig.4 - Anagyre isolé dans la
pelouse d' Ensérune (Scan) |
Fig.5 - Anagyre isolé au Roc du
Cayla. En contrebas, plaine agricole (Scan) |
Fig.6 - Branche portant des feuilles et des fleurs. Aspect de Genêt ou de Cytise (Scan) |
Apparaissant
en
hiver, les feuilles (fig.7) sont longuement pétiolées,
composées, à 3 folioles longues
de 3 à 6 cm,
sessiles, elliptiques, entières, d'un vert glauque et glabres en
dessus, plus
pâles en dessous car finement pubescentes, pourvues de stipules
soudées
ensemble. De goût amer, elles dégagent au froissement une
odeur désagréable,
comme nauséeuse, fétide, perçue aussi lorsqu’on
casse des tiges, d’où le nom
spécifique et ceux, vernaculaires,
de «Bois
puant» ou «Pudis». Ces mêmes feuilles,
précocément caduques,
tombent pendant l’ été ,
l’arbuste en étant alors
dépouillé et paraissant desséché.
Fig.7
- Feuille avec ses trois folioles caractéristiques
différents de ceux de l'Anagyre à feuilles larges (Fig.2) |
Fig.8 - Grappe de fleurs et feuilles
(Ensérune) |
Fig.9 - Fleur, détails
(Ensérune) |
La fructification est
sensée ne
survenir qu’en mai.
Toutefois,
l’auteur l’a déjà observée durant le mois de Févier 2022 (fig.
15) et une autre fois en Mars (fig.16),
conséquences probables d’ Hivers de plus en plus chauds.
|
|
Fig.15 - Fruit (flèche) à la
mi-février 2022, avec des fleurs et des feuilles
(Ensérune) (Scan) |
Fig.16 - Deux fruits plus
évolués, en mars 2022, avec des fleurs et des
feuilles (Ensérune). |
Les fruits («fèves
de
loup») sont de grosses gousses ou légumes de
Fabacée, pendantes,
énormes car longues de 10 à 20
cm sur environ 2 cm de large,
donc disproportionnées par rapport aux fleurs, bosselées,
glabres, de couleur verte (fig.10) puis devenant fauve
(fig.11),
grossièrement ondulées sur les bords,parfois
torsadées
et
contenant
de 3 à 8 grosses graines (fig.12), coriaces
(«cartilagineuses»), rappelant un rein
(«réniformes») et de couleur
variable : brun,
vert-de-gris ou bleu
violet améthyste (fig.13).
Fig.10 |
Fig.11 |
Fig.12 |
Fig.13 |
6 - Biologie
Le
mode de végétation de l’ Anagyre est extraordinaire
puisqu’il commence à
feuiller au mois de novembre, fleurit en plein hiver où il est
susceptible de
résister à la neige (fig.14), même
à
de fortes gelées, comme l’a souligné Martins
(1877), peut amorcer sa fructification
dès l’
hiver (fig.15,16)
comme souligné plus haut et perd
ses feuilles en été à l'époque où
ses
fruits commencent à mûrir (fig.11).
Fig.14 - Floraison sous la neige à
Ensérune. Février 2010 |
Sa
pollinisation est
assurée par les Insectes (entomogamie) :
Lépidoptères
(Morosphinx, Macroglossa
stellatarum, observé au Roc du Cayla) et
Hyménoptères (Bourdon terrestre,
Bombus
terrestris, photographié dans la même station
- fig.
17 - et Xylocope, Xylocopa
violacea, vu à
Ensérune).
Fig.17 - Bourdon terrestre butinant
des fleurs d' Anagyre. Roc du Cayla (photo Marcou) |
Sa
dissémination est
«barochore», les
graines
tombant au pied de la plante par le simple effet de la pesanteur, donc
à très
courte distance de sorte que de jeunes pieds peuvent être
observés sous
l’arbuste mère, exceptionnels à Ensérune mais par
contre très nombreux au Cayla
(fig.18).
Les
graines ont une cuticule épaisse et imperméable qui
contrarie leur germination,
mais garantit une longue conservation.
Fig.19 - Structure de la molécule d' Anagyrine |
L'anagyrine
est très toxique aussi bien pour
le bétail que pour l’homme, ses organes cibles étant le
tube digestif et surtout, le système
nerveux (poison ganglionnaire et bulbaire).
L’ingestion
de feuilles par le bétail, rare
car l’odeur est
dissuasive pour les Ovins et Bovins, provoque
des vomissements et une purgation
violente12, les chèvres
paraissant seules résistantes (Turquie).
Celle des graines
par
un homme ayant confondu les légumes d’ Anagyre
avec des gousses de haricot ou consommé
des laitages caprins entraine un syndrome neurotoxique
apparaissant en 4 à 5
heures : mydriase, excitation, incoordination motrice et vertiges,
associés à
sudation, salivation, convulsions, coliques, pouvant, dans les cas
sévères, aboutir
au coma puis à la mort par asphyxie.
La
toxicité n’est pas le propre des Thermopsideae mais se retrouve
dans de
nombreux autres groupes de Fabaceae, ceux-là alimentaires,
où l’ Anagyre
n’est d’ailleurs pas cité (Petit,2011).
8
- Utilisation passée
et actuelle
L'A. foetida est connu depuis
longtemps, d’abord en Grèce,
donnant son
nom au dème attique d’ Anagyronte où il aurait
abondé, inspirant Aristophane
(environ 400 ans av. J .-C), qui
fait mention de sa puanteur dans la comédie Lysistrata, et
donnant sujet
d’étude au médecin et botaniste Pedanius
Dioscoride
(in Περὶ
ὕλης
ἰατρικῆς,
De
Materia medica
3,
167)
pour
les
propriétés vomitives et purgatives des graines et des
feuilles. De son côté, Pline
l' Ancien le
décrit sous le nom d’ Anagyros ou acopon
(in Histoire naturelle : Livre
XXVII, XIII) :
«L'anagyros, appelée par
quelques-uns acopos (délassante), est rameuse..»«Anagyros
quam alii acopon vocant fruticosa
est… »..Suivent
une évocation d’ usages obstétricaux inattendus et de
caractères botaniques
plus réalistes : l’«odeur
forte», «la graine …
dans des cornets
assez longs et de figure rénale… se durcit au temps de la
moisson (et)… mâchée,
provoque le vomissement. ». De plus, il est parfois fait
référence à
l’Anagyre en tant que poison de flèches
depuis l’ Antiquité jusqu’au Moyen age (Lieutaghi,2004 ;
Vignes,2022), moins toutefois que l’ If (Taxus
baccata d’où dérive,
selon Pline, le mot «toxica»)
Actuellement
en France, d’aucuns considérent l’ Anagyre comme une plante
médicinale non comestible, feuilles et graines
ayant des effets émétique, laxatif, anti-helminthique,
emménagogue, spécifique
pour les affections rénales, peut être en souvenir du
vieux «principe des
signatures» (graine réniforme) et
même tonicardiaque. Par ailleurs, des recherches
récentes en laboratoire lui attribuent un effet cytotoxique
antitumoral qui
sera peut être exploité dans le futur.
Au
Maghreb, le
«karrûb el klâb» («fûl el
klâb»,«habbet grî») est
cité
par Bellakhdar & al. (1991),
comme étant employé couramment en médecine
traditionnelle pour traiter
les brûlures ou autres «maux» d'estomac
et aurait même, selon des italiens, un
intérêt vétérinaire contre
la gale des animaux domestiques. De plus, l’
Anagyre serait l’espèce
arbustive la
plus consommée par les chèvres en Turquie après Quercus
coccifera et Genista
anatolica (Tölü &
al,2012), au prix, toutefois, d’une certaine toxicité des
laitages.
III COMMENTAIRES
1
- Biologie et cycle vital
L’étrange
précocité de la floraison et de la chute des feuilles
montre, qu’à l’instar de
beaucoup de plantes de garrigue, dites xérophytes, l’ Anagyre
est également
adapté à la chaleur et à la sècheresse
qu’elle subissent . Toutefois, et à sa
manière, il est le seul arbuste présentant un cycle de
vie aussi décalé et accéléré,
lui permettant d’entrer en dormance lors des premières ardeurs
de l’été, la
chûte rapide des feuilles rappelant quelque peu le cas du Baobab (Adansonia) qui, en Afrique, ne
produit
son feuillage que durant les trois mois
de la saison des pluies. Il
illustre
l'une des meilleures stratégies de résistance à la
sécheresse de la flore
méditerranéenne (Avsar
et Ok, 2010).
Comme
observée à
Ensérune et au Cayla, la pollinisation paraît bien
assurée, selon toute
évidence, par des Insectes à longue trompe (entomogamie)
et non par
des oiseaux
(passeriformes tels que fauvettes et pouillots) comme l’affirme Vignes
(2022),
d’après les arguments douteux que des chercheurs espagnols
avancent en faveur
de cette ornithogamie13. Le
même auteur toulonnais évoque en
outre l’existence de deux sous-espèces ou variétés
génétiques distinctes
concurrentes basée sur une corrélation entre la
pigmentation des fleurs et
celle des graines.
En ce
qui
concerne ces dernières soulignons qu’elles posent un
sérieux problème : celui
du devenir de l’espèce. Les gousses
s’entrouvrent à peine de sorte que la libération des
graines en est aléatoire. Leurs
forme et dimensions
entraveraient l’enfouissement spontané dans le sol où
elles restent confinées
près de la surface (Valtuena
& al.,2008). En outre,
leur cuticule
coriace, à moins d’être «scarifiée»,
est un obstacle à la germinaison. En
contrepartie, il semblerait qu’elles
puissent
rester viables pendant au moins 1600 ans
comme l’ont prouvé des exemplaires contenus dans une poterie
de site archéologique turc (Ozgen
&
al.,2012). Dans notre région, les graines, soumises à
tant d’aléas, ne sont
libérées que par des causes accidentelles
extérieures, comme, au roc du Cayla,
un possible passage de gyrobroyeur, en limite de population, expliquant
l’abondance des jeunes pieds (fig.18)
suite à cette ouverture artificielle de gousses.
2 - Origine géographique
Si
l’on
fait abstraction des autres données botaniques, suffisamment
développées
ci-dessus, un point inattendu très
curieux est l’origine géographique sensu
stricto
de
l’Anagyre.
Au
tout début de la radiation évolutive darwinienne
(divergence
évolutive
à partir d'un ancêtre unique)
dont
il résulte et en fonction des dernièresdonnées de
la
biologie moléculaire
(Ming-Li & al.,2015), l’
Anagyre fétide serait
apparu au Miocène (entre
8.2 ± 4.5Millions d’années), à
partir de sa souche de Thermopsideae.
Cette dernière serait née elle même à
l’Eocène moyen (26,5 M.a) en Asie
extrême-orientale, plus précisément en Chine,
encore ce pays vedette, si l’on hasarde ici
un rapprochement audacieux avec l’origine présumée de …la
Covid 19, d’ailleurs toujours
discutable (Lopez,2022). La
répartition d’ Anagyris
serait liée à la disjonction continentale sous climat
méditerranéen, dite
«madréo-téthysienne» et aurait rang de
«relicte» tertiaire,
en fait relique 14, dans le cadre d’une
«végétation sèche et sclérophylle
à feuilles larges» («Tertiary dry broadleaf
evergreen sclerophyllous
vegetation» : Wen
& Ickert-Bond, 2009).
L’
Anagyre s’y situe dans l’ Etage mésoméditerranéen 15,
se
rencontrant ici et là, sur des coteaux
rocheux et arides, en pleine garrigue calciphile, surchauffée
l’été, exceptionnellement
en maquis, sur sols siliceux (Valmagne) ou naturalisé dans les
jardins.
Le
SINP 3 de référence l’évoque
dans13-14
communes d’ Occitanie, sa
première observation datant de 1733. Selon
les ZNIEFF 3 , plus restrictives, « il n'est
présent en France que
dans la plaine languedocienne, dans moins de dix communes et dans toute
la
région provençale»
dont, en tête, «sur la montagne percée de
Nissan près de Béziers»(Martins,1869). Cette Colline de l’ Oppidum d’ Ensérune (ZNIEFF
de
type I, n° 0000-3060, p.2/5) est citée d’emblée dans «Wikipédia» où
l’existence d’ autres stations est
seulement évoquée : «L'anagyre …. est une
plante méditerranéenne
…. qui se retrouve, de nos jours, sur l'oppidum d' Ensérune
danl' Hérault.... ».Toutefois,
il existe dans
le Biterrois même une
deuxième population, beaucoup plus importante qu’à
Ensérune, et qui trouve donc ici sa place, ne serait-ce
qu’à titre comparatif :
le Roc du Cayla «situé dans les garrigues au nord de la ville de
Béziers. … sur la commune de Roquessels,
constitué d'un petit promontoire rocheux isolé au
sein d'une petite
plaine agricole en bordure de la vallée de la Thongue…(fig.20)
abrite des plantes déterminantes
2…dont
l'Anagyre fétide» (ZNIEFFde type
I,n°0000-3105) (Gord
& al.,1991).
Fig.20- Roc du Cayla
échancré par une carrière et entouré de
vignobles. Vue d'ensemble (Scan). |
Pour
mémoire, signalons que du côté de Montpellier,
l’ Anagyre est présent sur la Gardiole, à son
extrêmité
nord-est dans les Garrigues de la Lauze et, dans la «Plaine de
Villeveyrac-Montagnac»,
sur la
«Falaise de l’abbaye de Valmagne», cette fois une zone
schisteuse et à
végétation de type maquis.
Plus
loin vers l’ ouest,mais toujours en Occitanie, l’ Anagyre est connu dans l’
Aude de la commune de Fitou, enfin,
dans les Pyrénées
orientales à Cases
de Pène, la vallée de Valmanya et
à Collioure
(colline du
Fort Saint-Elme, falaises du Racou).
Curieusement, il n’existerait pas dans le massif de la Clape (11),
pourtant
d’une diversité floristique exceptionnelle.
A l’opposé, on retrouve l’ Anagyre vers l’ est, en Provence : dans les Bouches du Rhone avec ses stations classiques de Montmajour , du Castellet et de
Cordes près des ruines et en garrigue arborée; dans le Var, aux Gorges d’Ollioules et du Destel, à l’emplacement d’un ancien point de guet, aux stations
de la Farlède et du Mont Combe-Coudon, autour du Fort Sainte Marguerite et au Mont Faron dans la région toulonnaise; enfin sur la colline du Château
de Nice où il est considéré comme «exotique».
4
- Origine
Ici
se pose le mystère particulièrement irritant d’un rapport
avec l’Homme.Trois théories, une l’affirmant,
la seconde l’éludant et une troisième, de moyen
terme,
« mixte », conciliant les
précédentes, peuvent être évoquées.
a - Introduction
L'Anagyre
aurait été importé et mis en place
artificiellement.
Toujours selon "Wikipédia", L'anagyre <de
l'oppidum d'Ensérune>
…. est …. d'origine probablement grecque…
Des pollens
ont été trouvés
sur ce plateau. Ils datent
du IIIe siècle av.
J.-C». Selon
un particulier, président des «Amis de
Nissan», que l'auteur a rencontré par hasard sur le
versant sud d' Ensérune, des
graines auraient été importées
accidentellement dans des amphores hellènes. Un rapport du
même ordre est
établi par Harant et Jarry 16.
Tout autant d’affirmations
gratuites car aucune source sérieuse n’en apporte la preuve.
Inlassablement,d’autres témoignages établissent eux aussi
une relation
anthropique. Dans la ZNIEFF «Roc du Cayla », il est
mentionné que l’«arbuste …affectionnant
plutôt les lieux abandonnés par l'Homme
<est>généralement présent à
proximité des anciens chemins et des vieilles ruines»(du
Néolithique au premier
siècle, selon Ugolini & Olive,2013) et, dans celle de
«la Lauze», qu’il se rencontre en garrigues anciennement
fréquentées par l'homme". A Valmagne, sur le versant sud,
«de
nombreux murets témoignent
d’une ancienne activité agricole». A propos de la
Provence, il est écrit que «Dans
les taillis de Chêne vert de Montmajour, du Castellet et de
Cordes, le Bois
puant est abondamment naturalisé depuis au moins 1545». Il
croît aussi dans les
ruines et une relation est même évoquée avec les
moines bénédictins de l’
abbaye. Par ailleurs, un intervenant fait ainsi la
synthèse
d’autres opinions du même ordre :
«C'est
un très rare arbuste des coteaux rocailleux et des falaises
maritimes
méditerranéennes. Il y pousse étonnamment dans ou
à proximité des forts et des
châteaux. On veut croire à ce propos qu'il fut autrefois
planté par les
militaires en poste pour ses vertus toxiques et aurait servi comme
poison (pour
flèches?)».
b - Spontanéité
Selon,
Ch.
Martins (1869,1877), au sens duquel l’auteur
de ces lignes abonde partiellement, l’
Anagyre fétide serait une
espèce tertiaire (cénozoïque) ayant survécu
à l'époque glaciaire dans le midi de
la France, cela uniquement dans quelques localités
privilégiées, donc spontanée 17
et
relique 14, mais qui s’est maintenue
partout ailleurs dans le reste du
bassin méditerranéen (Espagne, Italie,Grèce, Moyen
Orient, Maghreb). Ainsi
pourrait-on le rapprocher d'autres taxons exotiques ayant connu
pareilles
ambiance et évolution, tels que le
Palmier
nain (Chamaerops humilis), survivant
en Provence, peut être à la Clape
(Aude), le Myrte (Myrtus communis)
présent encore aujourd’hui officiellement dans le même
massif et celui de la
Gardiole (Hérault), ainsi que le Caroubier (Ceratonia siliqua), le
Laurier-d'Apollon (Laurus
nobilis) et le Laurier-Rose (Nerium
oleander). En revanche, aucun lien du même ordre ne peut
être établi
présentement avec la « Queue de renard » 4,
(Fig.1) deuxième
Fabacée «vedette» d’Ensérune dont le devenir
après l’incendie nous échappe
encore.
Non
évoquée jusqu’ici
par d’autres
auteurs, elle associe une présence spontanée
préexistente de l’arbuste et la
survenue ultérieure d’une installation humaine
depuis l’ Antiquité - que suggèreraient sur
Ensérune, les vestiges signalés
plus haut à proximité des pieds (fig.21,22)
- jusqu’au Moyen Age.
IV
- Conclusion
Pour clore cet article d’inspirations naturaliste et médicale, le dernier travail d' André Lopez pour la Société archéologique, l’Anagyre fétide serait donc, comme les taxons précédents, une espèce fondamentalement relique et non « relicte » comme l’écrivent divers auteurs 14, ayant appartenu à la végétation dite « sclérophylle sèche du Tertiaire »du moins en France méridionale, y compris , bien sûr, dans le Biterrois. Après avoir connu une extension spontanée beaucoup plus vaste à l’échelle géologique, l’extraordinaire Fabacée Anagyris foetida se circonscrit aujourd’hui à de petites stations isolées, vestiges de populations ayant souvent subi une pression anthropique (élagage) mais où des conditions locales protectrices non élucidées assurent sa survie.
Il
n’est d’ailleurs pas exclu que dans une certaine mesure, l’Homme ait
parfois
facilité cette dernière, de nos jours par souci
« écologique » pour
la conservation d’une plante rare
d’intérêt patrimonial, perdant de sa variabilité
génétique, ainsi exposée à l’extinction
et,
dans le passé, pour en tirer un éventuel
profit, pastoral, thérapeutique ou,
même
stratégique dans des lieux propices à la défense,
avec possible emploi des
graines comme poison de flèches. En fait, de tels usages
resteront à jamais sujets
à caution et énigmatiques.
NOTES
1- Les Fabaceae
ou Légumineuses
sont l'une des plus importantes familles de plantes
à fleurs par le
nombre d'espèces
(19 500, d’herbacées à arborescentes. Elles ont des
fleurs dites
Papilionacées 6, des fruits appelés
gousses ou
« légumes »,
et, d’intérêt économique primordial avec les
Graminées, constituent une source
de protéines
végétales indispensables pour l'alimentation
humaine
et animale.
2-
Les
espèces dites déterminantes
sont retenues par certaines méthodes d'inventaire
naturaliste
et d'évaluation
environnementale,
comme remarquables pour la biodiversité,
ou menacées et
jugées
importantes pour l'état de l'écosystème ou
particulièrement représentatives
d'un habitat
naturel.
3- Le sigle ZNIEFF désigne, en
France, une zone naturelle d'intérêt écologique,
faunistique et floristique,
espace inventorié en raison de son caractère remarquable,
et dont il existe
deux types : type I,occurrence d’écosystèmes et
d’espèces remarquables,
généralement sur une surface réduite ; type
II, écocomplexes et paysages
remarquables, généralement étendus sur des
surfaces plus vastes.Le SINP, «Système
d'Information sur la Nature et les Paysages») est une
autre structure
française nationale qui recense et
rassemble les dispositifs d'observations concernant la nature et les
paysages
français (patrimoine géologique inclu).
4- Astragalus alopecuroides (encore
appelée Astragale queue de renard, Queue
de renard d'Espagne) est une herbacée
imposante )(50 cm à 1 mètre) (fig. 1),velue-laineuse,
blanchâtre, à tiges
dressées simples, épaisses, et à feuilles
composées montrant 20 à 40 paires de
folioles elliptiques-lancéolées. Les fleurs (mois de
Juin-Juillet)sont
papilionacées 6,
typiques
d’une Fabacée 1, jaune
pâle, assez grandes (18-20 mm), très nombreuses et forment
de grosses grappes
ovoïdes superposées, serrées, subsessiles (fig.1).
Elles ont un calice renflé,
velu, persistant, et un étendard6 le
dépassant de peu. Les gousses 6
sont incluses, dressées,
ovoïdes, laineuses, à 2-4
graines. Comme l’ Anagyre,
l’ Astragale queue de renard, pourrait être d’origine orientale
(Asie
centrale), par l’intermédiaire, dans les Alpes, d’une
espèce voisine : Astragalus
alopecurus.....
5-
L’Anagyre (rattleback en anglais) est un
petit jouet («toupie») de forme
ellipsoïdale (en gros, celle d’ un cigare) possédant un
unique sens naturel de
rotation du à sa structure interne
hétérogène. S'il est lancé dans le sens
contraire, il ralentit , se met à osciller, puis change ce sens
de rotation.
6- Les fleurs papilionacées (du
latin :
papilio, -onis, « papillon ») sont ainsi
nommées car leur corolle
caractéristique évoque effectivement la forme d'un papillon.
Singularisant la plupart des espèces de Fabaceae 1, elles présentent
une symétrie
bilatérale
et se composent de cinq pétales
inégaux. Appelé «étendard», le grand pétale
supérieur, unique et vertical, embrasse par sa base cylindrique
les deux
pétales latéraux ou «ailes» qui, à
leur tour, entourent une paire de pétales
plus petits constituant une structure en forme de carène
de bateau.
Cette dernière renferme
les
organes floraux essentiels pour
la reproduction : l'androcée
(étamines) et le gynécée (pistil). Le fruit
qui en
résulte est une gousse ou légume.
7-Précédé
par l'Oligocène,
aujourd’hui rattaché à sa partie inférieure et
suivi par le Pliocène, le Miocène
est la quatrième époque de l'ère tertiaire ou Cénozoïque
s'étendant de 23,03 ± 0,05 à 5,332 ± 0,005
millions d'années.Parmi ses terrains
caractéristiques, les
molasses sont souvent des grès à ciment de calcaire
argileux.
8-
Encore appelé «Pelouse
méditerranéenne»,
il s’agit d’un faciès
de garrigue très ouvert, sur sol maigre,
caractérisé par une végétation
rase où prédomine largement le
Brachypode rameux, dit
aussi "baouque" en occitan ou
herbe-à-moutons.
Il est parsemé d’autres herbacées, de sous-arbrisseaux
(Thym, Badasse,Rouvet)
et d’arbustes (fig.2,3).
9 -
Il est à
noter que des plantations d’Anagyris
auraient ont eu lieu près de l’accueil du Musée,
à
titre ornemental ou de
curiosité mais ne sont pas prises en compte
dans ce maigre dénombrement.
10-
Parmi
les descriptions outrancières, voici,
au hasard, celle d’un anonyme : « …d’une
beauté
un peu
inquiétante avec ses fleurs qui semblent hésiter entre le
vert et le jaune,
l’étendard qui porte la marque
brutale
d'une peau de panthère comme certaines créatures de Poe,
cette plante exhale un
charme cruel auquel le naturaliste trop esthète qui signe ces
pages avoue ne
pas rester insensible. Mais il ne faut pas l'approcher trop près
! Une odeur
vireuse à senteur d'un caoutchouc
brûlé
sur des brassées de Jusquiame… ».
11- Les Acaloïdes, qui portent une terminaison en «-ine», sont des molécules à bases azotées, le plus souvent hétérocycliques, c’est à dire constituées de séries d’atomes différents (en général carbone et azote), dérivant le plus souvent d’acides aminés et très majoritairement d'origine végétale.
12- En outre, du moins
en
Amérique du Nord avec les Lupins et Thermopsis,
l’ anagyrine provoquer chez le veau nouveau-né
un syndrome
tératogène,
connu en anglais sous le nom de crooked calf disease (maladie
du veau difforme) apparaîssant lorsque la vache
a ingéré une quantité critique de toxique à
certains stades de la gestation.
13 - L'ornithogamie,
pollinisation par les
oiseaux,
fréquente
sous les tropiques, serait, chez Anagyris
le premier cas européen connu. A.
Ortega‐Olivencia & al.,2005vironmental
Science. Oikos, vol. 110,
nº 3, 2005, pp. 578-590.
14- On
parle d'espèce
relique ou de population
relique
pour désigner une espèce ou la population d'une
espèce qui sont survivantes
d'une époque différente ou d'une répartition plus
large, à la suite de changements
de conditions climatiques. En revanche, une
relicte -qualificatif
trop souvent
utilisé, à tort, pour l’ Anagyre - est une espèce
vivante que l’on croyait éteinte
mais qui s’avère exister encore de nos jours dans des niches
écologiques restreintes. Les deux
termes
sont néanmoins applicables à l’ Ephedra (A.Lopez, Bull.
S.A.S.L.B.2019
p.11-3).
15- S’inscrivant
dans la
disposition étagée de la végétation
en bandes parallèles superposées au flanc des reliefs,
l’étage
mésoméditerranéen est typiquement sous
climat de
ce type, avec une sécheresse estivale
accusée d’au minimum 2 mois (critère retenu classiquement
pour définir un
climat méditerranéen).C’est le pays du Chêne vert, Quercus
ilex L. et du
Chêne kermès, Quercus
coccifera L., par
excellence, et plus généralement,
le pays des garrigues.
16-
Selon H.Harant et D.Jarry,
qui ont
insuffisamment
développé le cas étrange d’ Anagyris
dans leur «Guide du Naturaliste dans le midi de la France, II
(Delachaux &
Niestlé ed., 1967)», «Le site archéologique
<d’ Ensérune> a été découvert
par Félix Mouret…grâce à l’ Anagyre qu’il avait
appris à connaître en
Gréce(p.332)». En fait, le dit site fut découvert par A.Ginièis, curé de Montady,
et E.Sabatier
(1854,1860), avant que le « riche amateur de
Béziers » ne l’achète en
1915 ( in Ugolini et Olive, 2013) et…
fasse «déplaçer» les légitimes
propriétaires qui durent se reconvertir
en…riziculteurs (d’après une conférence à la
S.A.S.L. de Béziers, Médiathèque…).
17
- En
écologie, la flore spontanée
est définie comme celle
«qui pousse naturellement, sans intervention humaine, qu’elle
soit indigène ou
non, et qui maintient ainsi un processus naturel de
colonisation». Elle
s’oppose ainsi à la flore plantée et cultivée
dont le développement est
dépendant de l'homme.
BIBLIOGRAPHIE
Akbag,
H. I,2021-
Potential nutritive value of Anagyris
foetida shrub for goats. Agroforestry
Systems 95(1), p.191-200.